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Murmures d'humeur

8 février 2008

Humeur originelle

Il faisait soir. La lumière venait de s’éteindre dans le couloir de l’immeuble.

Elle ouvrit son sac pour y prendre ses clefs.

Sa main cherchait, à tâtons, le gros trousseau froid et métallique quand ses doigts se refermèrent sur une forme ronde, chaude et parfaitement régulière. Un œuf.

Saisie par le choc inattendu de ce contact, son corps se raidit et elle n’osa plus bouger. Quelque chose vivait dans cet œuf, elle en était sûre. Son instinct de mère sans doute ou la douce chaleur qu’il diffusait au creux de sa main. Telle une poule qui a trouvé un couteau, elle restait pétrifiée et interdite, incapable de prendre une décision.

La lumière se ralluma dans le couloir et elle entendit le bruit de l’ascenseur. Subrepticement, elle jeta un coup d’œil au fond du sac, les doigts toujours refermés sur la forme ovale. L’œuf était de couleur marron foncé, presque chocolat. Tiens, un étranger se dit-elle.

Dans cette position inconfortable, la main au fond du sac, et l’autre appuyée au chambranle de la porte, elle se demanda enfin quelle poule avait bien pu pondre un œuf dans un endroit aussi malcommode qu’un sac à main posé au fond d’un bureau au 12° étage de la tour où elle travaillait. Parce qu’il y avait une seule évidence dont elle était certaine. Cet œuf avait été pondu par une poule. Et non par une poule de supermarché. Une poule vivante et indépendante qui avait choisi, pour une raison qu’elle ignorait encore, SON sac à main, pour y déposer son futur poussin. Une immense responsabilité l’envahit tout à coup. Elle devait couver cet œuf. Quelle inconsciente cette poule. Dire qu’elle aurait pu pondre dans le sac de Janine ou de Françoise ! Dire que l’œuf aurait pu se fracasser sur son trousseau de clés ! Dire même qu’elle aurait pu se tromper d’étage car au 11°, il n’y avait que des hommes et pas de sac à main. Comme quoi, une vie tient à si peu de choses. Elle en avait les larmes aux yeux.

Elle frissonna, à nouveau plongée dans le noir du couloir et dans l’entrelacs de toutes ces pensées si nouvelles et insolites. Il fallait prendre une décision et ouvrir cette porte tout en gardant l’œuf bien au chaud. Elle se contorsionna délicatement pour appuyer sur l’interrupteur avec son nez et, à moitié fléchie, chercha ses clés avec ses yeux, sans déranger la petite vie qui sommeillait dans la paume de sa main droite. En y regardant de plus près, l’œuf semblait très gros et sa coquille bien étrange. Elle le souleva avec amour pour l’observer et s’aperçut soudain qu’il était en sucre, parsemé d’éclats pralinés et aussi vide de vie que sa voisine d’humour.

Entre l’envie de rire et celle de pleurer, elle saisit son trousseau, ouvrit la porte, entra en coup de vent, jeta sac et manteau sur le canapé, et se dirigea vers la cuisine.

Elle tira la porte du frigo et prit la boite à œufs industriels, de ceux qui n’ont jamais connu la poule qui les avait pondus, en cassa trois dans un bol pour se faire une omelette.

On ne change pas de vie comme ça, aussi facilement.

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